Mangas, japanimation, J-Pop, sushis: longtemps réservée à un petit groupe d'initiés, la culture populaire de masse japonaise fait désormais partie de notre quotidien et constitue une véritable "soft power" (puissance douce) pour le gouvernement nippon, génératrice de revenus colossaux et pierre angulaire d'une stratégie du "contents" basée sur le développement de la propriété intellectuelle et la création de contenu.
Selon un rapport du ministère japonais de l'Economie, du Commerce et de l'Industrie (Meti), le marché global du contenu 2004, considéré comme une "industrie leader" était estimé à 13.300 mds de yens (96 M euros), dont:
- 567 mds de yens pour EDITION/PRESSE (Papier)
- 473 mds de yens pour IMAGE (DVD,TV)
- 107 mds de yens pour JEUX VIDEO
Le Meti ambitionne d'atteindre 17.000 mds yens en 2010, grâce notamment au développement du broadband, du cinéma digital et des TIC.
Qu'est ce que la "soft power" ?
Il s'agit d'un concept créé dans la seconde moitié des années 80 par Joseph S.Nye Jr, professeur en Sciences politiques internationales à Harvard en opposition au concept de « hard power », puissance traditionnelle de contrainte basée sur la force de coercition (MILITAIRE).
Selon Joseph Nye, la « soft power » est la capacité d’un acteur (le plus souvent un Etat) à maîtriser les règles du jeu par la persuasion et non par la force. Ses ressources correspondent au pouvoir d’ATTRACTION, de SEDUCTION exercé par un modèle CULTUREL, idéologique et/ou des institutions internationales.
En résumé, on peut dire que la « Soft power » est l’influence qu’exerce un pays par sa CULTURE et son MODE DE VIE
Au Japon, la puissance « soft » est basée avant tout sur sa CULTURE POPULAIRE de MASSE (Manga, Japanimation) et sa TECHNOLOGIE
La « soft power », ressource essentielle du Japon d’après-guerre………
La constitution pacifiste du Japon (1946) l’oblige à renoncer à l’usage de la force armée et à abandonner le « hard power » aux vainqueurs (USA). Le Japon consacre tous ses moyens au développement d’un pouvoir soft à rayonnement international. (Yoshiyuki Sodekawa, Dentsu)
Des estampes au « Japan Cool »
L'exposition universelle de Paris en 1867 marque la naissance du Japonisme en Occident et l'influence des estampes traditionnelles japonaises (ukiyo-e) sur les impressionnistes français .
Pour Tsutomu Sugiura (directeur du Marubeni Research Institute), le japonisme consistait à PROMOUVOIR LA CULTURE TRADITIONNELLE NIPPONE (Kabuki, Noh, Ikebana, Sadô, Go, Ukiyo-e, Haïku, Zen; Karaté, Judô etc) et de ce fait diffère du Japan cool, inspiré d’une CULTURE POPULAIRE DE MASSE basée sur le MANGA et le DESSIN ANIME.
Du Japonisme au « Japan Cool »
Le concept de « Japan Cool » est évoqué pour la première fois par le journaliste américain Douglas McGray dans son article « Japan’s Gross National Cool » (Foreign Policy Mai-juin 2002)
Pour Mc Gray, malgré une décennie de récession économique, le Japon est devenu une SUPER PUISSANCE CULTURELLE qui exporte ses MANGAS, ses DESSINS ANIMES et ses SUSHIS dans le monde entier
Caractéristiques du « Japan Cool »
Peu importe l’authenticité, tout réside dans l’esprit et les valeurs post-modernes, tels ces tee-shirts « Harbard University »; « Comme Ca du mode » etc….
L'esprit « Japan Cool » est directement inspiré de l’American Cool selon le principe du « MARKETING BOOMERANG ».
Marketing Boomerang: consiste à puiser son inspiration à l’étranger (Occident) pour produire un bien perçu comme « made in Japan » et à le revendre ensuite à l’étranger comme produit local.
Exemple-phare: HELLO KITTY
Né en 1974, le chaton blanc et rose sans bouche est devenu « la vache à lait » de Sanrio avec:
- Plus de 50.000 produits griffés (accessoires, vêtements, électro-ménager, jouets, etc.) vendus en 2003 dans plus de 60 pays
- Environ 22 000 produits dérivés
- C.A annuel d’environ 740 M euros (2003)
Symbole du kawaii nippon, Hello Kitty est en fait anglaise (Nom de famille White) et vit dans la banlieue de Londres avec sa sœur jumelle et ses parents….
Définition du kawaii
Est kawaii tout ce qui est doux, enfantin, édulcoré, gentil, naïf, innocent, pur et authentique (Cuties in Japan, Sharon Kinsella 1995). Le kawaii traduit aussi bien un style, un comportement (gestuelle) qu’une démarche (pieds en dedans). Il s'est
rapidement développé dans les années 70 avec pic dans les années 80 avant d’évoluer vers un style plus effronté et androgyne dans les années 90.
Le boom du kawaii à l’étranger…..
Années 90: alors que le kawaii s’essoufle un peu au Japon, il conquiert l’Occident (mode du « babe », Björk, Courtney Love et ses ours en peluche et barrettes roses…)
En France lancement de la marque Lulu Castagnette, nouvelle ligne de vêtements inspirés par l’enfance sur lequel figure le logo d’un petit nounours brodé.
….est terminé au Japon
Les ventes de Hello Kitty diminuent au Japon (2003 baisse de 30% en 3 ans). Stratégie de Sanrio: attirer les adultes du monde entier en misant sur les valeurs CROSSCULTURELLES
2003: part des ventes à l’étranger représentent 14,9% contre 6,8% en 1998
Le boom des mangas à l’étranger
Marché du Manga en France:
- près de 460 millions d'euros en 2005, soit 45% du C.A de la B.D en France
- Croissance annuelle moyenne de 22%
- Environ une B.D sur deux en France est un manga
2004: les éditeurs japonais de Mangas exposés pour la première fois au Salon international du livre de Frankfort
A l’origine des mangas….
Rouleaux de peintures narratives (emaki-mono)
- 12ème siècle: 1er volume de Choju Jinbutsu Giga
→Représentation SIMPLE et EXAGÉRÉE de bêtes au comportement humain
→Caractéristiques: EXPRESSION et DYNAMISME DU MOUVEMENT (ancêtre de l’animé)
Technique de gravures sur bois (木版画)de l’ère Edo (1603-1867)
→1720: impression du premier livre de dessins humoristiques (漫画) publié à des fins commerciales
→ Les Japonais furent les premiers asiatiques à bénéficier d’images proches de la B.D
Caractéristiques des mangas
Diversité & éclectisme: il y a autant de mangas et de genres différents que de lecteurs
- Yaoi Manga (garçon pubère et efféminé)
- Shôjo Manga (femme ado)
- Shônen Manga(« bad boy »)
- Hentai Manga etc…(pervers)
- Doujinshi (manga amateur reprenant héros)
Publication en série (hebdomadaire (N&B) puis livres reliés en couleurs regroupant plusieurs volumes et publiés tous les 3/4 mois)
Support fantastique de « l’animé » comme produit de consommation de masse
La Japanimation
Née du manga, la japanimation est synonyme du « Japan cool » et de succès commerciaux phénoménaux (GUNDAM, AKIRA, Ghost in the shell)
Marché qui a explosé durant la seconde moitié des années 70 (« animé boom »)
→1975: 4,6 mds yens (33,3 M euros)
→2002: 200 mds yens (1,5 md euros)
La Japanimation représente plus de 60% du marché mondial du dessin animé
Marché qui s’appuie sur la TV, le cinéma, les jeux vidéo et les DVD pour conquérir le reste du monde
…..fait son cinéma….
2002: le « voyage de Chihiro » de Hayao Miyazaki remporte l’ours d’or au festival du film international de Berlin
2003: le « Voyage de Chihiro » remporte l’oscar du meilleur film étranger (une première pour l’animé japonaise !)
2004: « Gost in the shell 2 - Innoncence » de Mamoru Oshii (Production I.G) est en compétition à Cannes, aux côtés du monstre vert « Shrek 2 »
…et inspire Hollywood
Kill Bill 1 (Quentin Tarantino) s’inspire de Ghost in the shell 1 et inclut une séquence animé produite par Production I. G
Le phénomène Pokémon
- Diffusé à la TV dans 68 pays, traduit dans 25 langues étrangères
- 40% d’audience TV chez les 4-12ans
- Diffusé au cinéma dans 45 pays
- 4.000 produits dérivés pour une valeur totale de 700 mds de yens (5 mds euros)
- 93 mds yens ( 673 M euros) en ventes de logiciels de jeux vidéo
- 500 franchises à l’étranger pour un total de 30 000 produits griffés
Au Japon, le marché global « Pokémon » est estimé à 1000 milliards de yens (7,2 mds euros)…
Et à l’étranger, ce juteux marché vaut le double….2000 milliards de yens (14,4 mds euros)
consacré à la gastronomie nippone (distribué dans les restaurants japonais parisiens et dans les grandes villes de province)
Conclusion
« Moins d’argent = plus d’idées »
La crise économique a permis au Japon de développer sa créativité et a fortement contribué au succès international de ce « Japan cool » synonyme dans le monde entier de modernité, de dynamisme et de nec plus ultra …
Si le gouvernement nippon semblait sceptique au début quant au potentiel de sa « soft power », il en fait désormais sa priorité et mise sur la STRATÉGIE DE CONTENU et la propriété intellectuelle en privilégiant la production et la création et en accentuant la distribution via les TIC.
Quelques références
« L’empire du soft » (France Eco Japon N°101 hiver 2004)
« Le marché du contenu » (Meti)
« Japan’s Gross National Cool » (Douglas Mc Gray, Foreign Policy, Mai-juin 2002)
« Nihon no sofuto pawa: sono genkai to kanosei » (Joseph Nye, Gaiko forum Juin 2004)
« Cool Japan: le Japon super puissance de la pop » (Philippe Pons, Le monde, décembre 2003)
Rapport JETRO 2004
" Poupées, robots, la culture pop japonaise » (Alessandro Gomarasca, éditions Autrement, 2002)
« Cuties in Japan » (Sharon Kinsella, Women media and consumption in Japan, 1995)